Les syndicats du crime japonais et Fukushima



L'accident de la centrale de Fukushima qui a frappé le Japon le 11 mars 2011 a profité à certains et notamment aux yakuza. La mafia japonaise a en effet procurée de la main d’œuvre à bas prix recrutée parmi les SDF et les marginaux pour travailler sur la centrale. Au passage, les mafieux prenaient leur commission.

En effet, les yakuzas trempaient dans le maquillage de contrats d’intérim en contrats de sous-traitance : « Entre collègues, on parlait souvent des interventions des yakuzas dans l’embauche des ouvriers » raconte un ancien ouvrier de la centrale accidentée qui habite dans la préfecture de Fukushima. « C’est sûr, les histoires de ce genre se sont multipliées après le désastre du 11 mars : on disait que tel syndicat était impliqué ici, et tel autre là. »

Cet ouvrier raconte qu’il touchait chaque jour 11 000 Yens de salaire plus 5 000 Yens en primes de risque. Certains de ses collègues dans la région du Kansai (au centre de l’île de Honshū) touchaient jusqu’à 30 000 voire 40 000 Yens (3 à 4 000 €) par jour.

La participation des syndicats du crime à l’embauche des ouvriers n’est pas une nouveauté. « Beaucoup des ouvriers de la centrale de Fukushima étaient liés aux gangsters des années 1960 et 1970 » raconte un ancien employé de TEPCO, qui a travaillé dans la centrale de Fukushima à une époque.

Les syndicats du crime envoyaient les ouvriers. Certain d’entre eux étaient eux-mêmes des gangsters, selon cet ancien employé. TEPCO et ses principaux sous-traitants publiaient des mises en garde pour la forme, mais ils faisaient mine de ne pas voir ce trafic parce qu’ils avaient toujours grand besoin de cette main d’œuvre.

Un homme de 63 ans qui habite à Takahama dans la préfecture de Fukui, raconte qu’un chef de chantier lui a dit, il y a trois ans de cela, « Ce n’est plus la peine de venir à partir de demain. »

Il venait de perdre son job à la centrale nucléaire de Mihama parce qu’un contrôle médical venait de montrer que son taux sanguin de globules blancs augmentait. Cela faisait quinze ans qu’il travaillait dans les centrales. Comme les autres, il était passé d’une centrale à l’autre au gré des grandes inspections des centrales, qui génèrent toujours d’alléchantes opportunités d’emploi dans le nettoyage et la réparation.

Outre ses intérims à la centrale de Mihama, l’homme était également passé par les centrales de Ōi et de Fukushima n°1 grâce aux bons offices de ses relations.

Il y avait effectué des soudures sur des tuyautages et des resserrages de boulons à l’intérieur des bâtiments des réacteurs, où l’humidité est importante et où la température dépasse les 40°. Parce qu’il transpirait tout le temps, il enlevait parfois son masque et ses équipements de protection.

Un jour, alors qu’il travaillait sur l’enceinte de confinement d’un réacteur (un endroit où les taux de radiations sont élevés), un outil a déchiré et crevé son gant en caoutchouc. Pris de panique, il a couru hors de l’enceinte et a passé une demi-heure à se laver les mains et les ongles.

Une autre fois, il s’est mis à saigner d’une égratignure à la tête. On lui a payé un traitement médical, mais aucun compte-rendu d’accident industriel n’a jamais été établi. Il saigne de plus en plus souvent du nez quand il se mouche.

L’homme dit avoir touché de 10 000 à 20 000 Yens d’émoluments journaliers. La plus grosse somme qu’il ait gagnée en une année n’a été que 3 millions de Yens (30 000 €). Il n’a touché aucune prime de licenciement quand il a perdu son job, pas plus qu’il n’a eu droit au chômage. Il a cherché un autre boulot mais n’en a pas trouvé.

Les syndicats du crime et les trafics illégaux s’agglutinent aux centrales nucléaires où les ouvriers triment dans des conditions dures. Mais le problème ne se limite pas à cela.

« Le bidonnage des contrats d’intérim en contrats de sous-traitance gangrène les centrales nucléaires du Japon tout entier parce que les sociétés de production électrique, pour économiser de l’argent sur la main d’œuvre, ferment les yeux sur tous ces trafics » explique Masahiko Yamamoto, un ancien ouvrier de 54 ans de la centrale de Tsuruga dans la préfecture de Fukui qui milite aujourd’hui contre l’énergie nucléaire.

« Nous avons appelé nos employeurs à se conformer à la loi et à couper leurs liens avec les syndicats du crime », rétorque un représentant de la Kansai Electric Power Company, qui gère la centrale de Ōi. « Nous regrettons fortement qu’un cas de non-conformité ait été découvert. Nous renouvelons notre appel à respecter les règles. »

L’ancien ouvrier de 63 ans de Takahama était resté disert pendant l’interview qu’il a donnée aux journalistes du Asahi Shimbun. Mais il a brusquement haussé le ton quand ils lui ont demandé ce qu’il pensait de sa longue carrière d’ouvrier du nucléaire : « Nous, les ouvriers de base, nous avons été les vrais fournisseurs d’énergie du Japon. Mais je pense différemment aujourd’hui. On ne devrait pas travailler dans les centrales nucléaires. On vous y exploite puis on vous jette ». Il jure, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendra plus. Mais sa vie professionnelle est finie.

Autre technique utilisée par les Yakuza : contracter, sous de faux noms, des prêts gratuits accordés aux victimes du séisme. Les sommes sont utilisées pour la réouverture de sex-shops, de clubs... Selon un rapport de la police nippone, quelque 35 millions de yens (330 047 euros) ont été illégalement perçus par les Yakuza. Seulement un quart des dossiers suspects ont été examinés à ce jour.

Les retombées de césium et d’iode radioactifs ne sont pas les seules que le Japon va devoir nettoyer après l’accident de Fukushima. Et le fait que de tels articles paraissent dans le très sérieux Asahi Shimbun montre que les Japonais n’ont plus l’intention de détourner le regard des pratiques douteuses. Les Yakuza trouveront bien un autre moyen de s’enrichir eux.

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